TPE 2003-2004                    Lucie Zongo - David Jacquot

Le carbone 14 et le Saint-Suaire de Turin.

 

           

 

 

Chapitre II.

 

La datation du Saint-Suaire de Turin.

 

 

 

1.      Rappel de la polémique et des précautions prises pour la datation.

 

 

Le Suaire de Turin est une célèbre relique, supposée être le Linceul du Christ lui-même. On peut voir sur ce drap l'empreinte d'un visage et d'un corps qui ont de nombreux points communs avec l'image classique du Christ (comme les traits du visage, les signes de crucifixion…) voir annexe 4 -. Cette relique a beaucoup attiré l'intérêt de la science, car elle avait des propriétés particulières (par exemples des propriétés tridimensionnelles voir annexe 7 - ) et ne présentait aucun trucage détectable : pas de traces de peinture, pas de rajout important de tissus à la pièce principale, etc. Beaucoup attendaient donc des résultats de la datation aux alentours du premier siècle après Jésus-Christ.

 

Afin de se forger une idée précise sur sa fiabilité, nous passerons en revue les accusations portées à la datation de cette relique. Mais nous allons tout d'abord préciser toutes les précautions prises pour cette datation.

 

En premier lieu, on peut signaler que les scientifiques ont refusé d'effectuer la datation avant que la technique qu'ils souhaitaient utiliser (la spectrométrie de masse après accélération voir annexe 11 - ), encore à l'étude, ne soit considérée comme parfaitement sûre. Les centaines de datations effectuées grâce à cette technique avaient montré des résultats tout à fait positifs et d'une grande précision.

 

De plus, ce qui est très rare pour les datations au carbone 14, trois laboratoires (ceux de l'Arizona, de Zurich et d'Oxford), sélectionnés pour la qualité de leurs travaux précédents, ont effectué simultanément l'analyse d'un fragment du Saint-Suaire. Et, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'alors, on a donné aux trois laboratoires un autre échantillon d'âge bien connu (obtenu par des méthodes n'utilisant pas la radioactivité) afin de vérifier la justesse de leurs procédures de préparation. Ces échantillons étaient : un morceau de lin venant d'une tombe nubienne découverte en 1964; un morceau de lin issu de la collection d'Antiquités Égyptiennes du British Muséum; et un morceau de la chape de Saint-Louis d'Anjou, de la Basilique Saint-Maxime, en France.

 

Six mois après la datation, les résultats furent publiés dans la revue "Nature" voir annexe 3 - . D'après les scientifiques, le Saint-Suaire daterait du XIII° ou XIV° siècle après Jésus-Christ, alors que comme nous l'avons vu précédemment de nombreuses personnes attendaient une date avoisinant le I° siècle. S'élevèrent alors de nombreuses objections, dont nous avons consigné les principales.

 

 

2.      Objections faites à la datation.

 

A.    Un taux en carbone 14 anormal ?

 

·        Dû à une formation atypique de la matière carbonée du Linceul :

 

Avant même la datation ont été effectuées des mesures visant à établir le rapport isotopique 13C/12C. Ceci à pour but de vérifier que la matière carbonée du tissu s'est formée dans des conditions parfaitement normales. Connaissant fort bien le rapport 13C/12C correspondant au type de tissu du Saint-Suaire, les scientifiques ont prouvé que le carbone contenu par le Saint-Suaire s'était formé dans des conditions normales.

De plus, on connaît parfaitement, par des méthodes utilisant la dendrochronologie, le taux de carbone 14 présent dans l'atmosphère à cette époque.

 

·        Dû à une variation du taux de radiocarbone par des apports extérieurs :

 

Il faut également que le taux de carbone 14 de l'échantillon n'ait pas évolué au cours du temps autrement que par la décroissance radioactive. On a souvent accusé le célèbre incendie de 1532 d'avoir pu modifier la teneur en radiocarbone du tissu, mais cette hypothèse est scientifiquement irrecevable : un simple chauffage ou une combustion ne peuvent absolument pas entraîner la formation de carbone 14. De plus, tous les échantillons doivent subir avant la datation une combustion en laboratoire, dans des conditions bien plus difficiles que l'incendie de 1532.

Un phénomène de formation de carbone 14 à la surface terrestre ne peut être généré que par des réactions nucléaires qui n'ont été observées que dans les années 50, où ont eu lieu des explosions thermonucléaires.

               

 

B.    Des anomalies dans les échantillons prélevés ?

 

·         Par le dépôt dans les fibres du tissu de matière carbonée au fil du temps (pollution) :

 

C'est l'hypothèse la plus vraisemblable contre la validité de cette datation.

En effet, à plusieurs reprises, d'autres datations ont été faussées par des procédures de nettoyage des échantillons peu efficaces. Si tous les matériaux carbonés ajoutés au tissu lui-même n'ont pas été totalement éliminés, la datation prend alors en compte un taux de radiocarbone bien élevé.  

    Cependant, au vu de l'importance de cette datation, les 3 laboratoires avaient effectué toutes les étapes de nettoyages possibles, en doublant ou triplant parfois les procédures (tout ceci ayant été signalé dans l'article publiant les résultats )

De plus, le Linceul lui-même était très peu sujet à des pollutions extérieures, ayant toujours, depuis le XVI° siècle, été soigneusement conservé dans des lieux confinés, et le tissu étant très bien conservé. Mais on peut cependant imaginer que certaines pollutions n'aient pas pu être supprimées par les techniques habituelles.

 

·         Par un mauvais choix des échantillons :

 

    Lorsque les scientifiques ont annoncé que la technique de spectrographie de masse était au point, les laboratoires ont très rapidement commencé les expériences de datation, et les échantillons de tissus du Saint-Suaire ont du être sélectionnés et découpés assez rapidement. On a beaucoup critiqué l'empressement avec lequel le morceau de tissu (de 8,1 cm sur 1,6 cm) fut choisi sur le Saint-Suaire. L'on sait qu'au Moyen-âge, des pièces de tissus furent ajoutées au Saint-Suaire pour masquer certaines parties endommagées par l'incendie de 1532.

Mais l'on peut tout de même signaler que lors de ces prélèvements des spécialistes en tissu et de nombreux autres scientifiques, habitués de ce genre de procédures, étaient présents, et il fut vérifié à de nombreuses reprises que la surface prélevée appartenait bien à la pièce principale du Linceul.

 

 

C.    Des résultats erronés ?

 

    On retrouve bien entendu à maintes reprises une mise en doute des résultats obtenus. Il n'est bien sur pas impensable que les expériences aient pu, pour diverses raisons, donner des chiffres non fiables. Mais on peut remarquer que les trois autres échantillons-test distribués aux laboratoires, après une datation "à l'aveugle", ont donné des résultats d'une grande précision (les plus significatifs sont ceux de l'échantillon de la "chape de Saint Louis" : on attendait une date entre 1280 et 1290 et les résultats furent compris entre 1263 et 1283).

 

    Cependant, il est bon de signaler que l'on a parfois obtenu des résultats très inexacts dans certaines datations, allant parfois jusqu'à des erreurs de 2000 à 5000 ans ! Ces erreurs ont souvent été attribuées à des erreurs de calculs et de mesure des taux de carbone 14, ou encore à des pollutions non éliminées.

    Il n'est donc pas impensable que les 3 laboratoires aient reproduit la même erreur, les procédures étant sensiblement les mêmes. Mais les résultats obtenus pour les 3 autres échantillons (dont l'un d'entre eux, la chape de Saint-Louis, avait un âge très proche de celui obtenu pour le Saint-Suaire)  sont pourtant très précis.

 

    On peut aussi remarquer que les résultats obtenus par le laboratoire d'Oxford étaient plutôt éloignés de ceux des deux autres sur quelques analyses. Mais ces différences rentraient cependant dans la marge classique d'incertitude.

 

Échantillons

1 (Saint-Suaire)

2 (Test)*

3 (Test)*

4 (Test)*

Laboratoire de l'Arizona

646 ± 31

927 ± 32

1,995 ± 46

702 ± 43

Laboratoire d'Oxford

750 ± 30

940 ± 30

1,980 ± 35

755 ± 30

Laboratoire de Zurich

676 ± 24

941 ± 23

1,940 ± 30

685 ± 34

voir annexe 3 - (article d'origine)

  * Échantillon 2 : morceau de lin issu d'une tombe nubienne - Échantillon 3 : morceau de lin issu de la collection d'Antiquités du British Muséum - Échantillon 4 : morceau de la chape de Saint-Louis d'Anjou.

 

    Conclusion :

 

    On peut donc constater que nombre des arguments portés contre la fiabilité de cette datation ne sont pas fondés et sont même parfois non recevables scientifiquement.

 

    Cependant, quelques uns sont tout à fait plausibles : la pollution des échantillons est un facteur d'échec de datation plutôt courant. A l'heure actuelle, la communauté scientifique ne s'accorde pas totalement sur l'efficacité des méthodes de purification des échantillons. De plus, on ne connaît bien l'histoire du Saint-Suaire que depuis le XVI° siècle, et, s'il date effectivement de temps plus anciens, il a pu subir de nombreuses altérations.

   

    De plus, il est vrai que le laboratoire d'Oxford a obtenu des résultats qui, bien que restant dans la marge classique d'incertitude, ne sont pas parfaitement en accord avec les précédents. Il est par ailleurs arrivé plusieurs fois que des datations, pour des raisons inconnues, ne donnent pas les résultats attendus, et doivent être reconduites plusieurs fois.

 

    On peut malgré tout constater que l'écart du taux de carbone 14 mesuré entre un objet datant du premier siècle et un objet datant  du XIII° siècle est très important. Un calcul effectué par un laboratoire a établi qu'il faudrait ajouter à l'échantillon une quantité de carbone moderne égale au poids du carbone provenant du lin.

 

    Mais, afin d'écarter toute incertitude, certains scientifiques et associations proposent d'effectuer à nouveau une datation d'échantillons du Saint-Suaire visant à confirmer ou démentir les résultats obtenus la première fois, et à écarter certaines objections.

    Tout d'abord, de reconduire la première datation, avec un fragment de tissu similaire, mais en améliorant les méthodes de purification utilisées en 1988 avec les techniques actuelles et en y portant un soin tout particulier.

    Puis, si les résultats ainsi obtenus ne sont pas entièrement satisfaisants, tenter la datation de 3 autres échantillons de la pièce.

    Ces échantillons consisteraient en :

- Un morceau du tissu brûlé résultant de l'incendie de 1532, actuellement caché sous une pièce de réparation.

- Un fragment de fil de couture liant deux parties de la pièce principale.

- Un fragment pris dans un coin différent de celui du premier échantillon.

 

    Ces datations complémentaires permettraient en plus de vérifier l'homogénéité des caractéristiques du tissu.

 

    Si ces différentes datations sont menées à bien, les résultats obtenus permettraient d'obtenir une certitude absolue sur l'âge du Saint-Suaire, antérieur ou non au XII° siècle.

 

 

Chapitre III