TPE 2003-2004                    Lucie Zongo - David Jacquot

Le carbone 14 et le Saint-Suaire de Turin.

 

           

 

 

Chapitre III.

 

Le carbone 14 infaillible ?

 

 

 

1.    Les limites de la méthode.

 

 

a)      Une méthode qui ne permet de dater que le vivant.

 

     La méthode de datation au carbone 14 se base sur la radioactivité de 14C. Elle ne peut être utilisée que pour étudier des échantillons contenant du carbone.

    Or, seuls les organismes vivants animaux ou végétaux effectuent des échanges respiratoires et alimentaires avec le milieu extérieur. Eux seuls sont donc capables de maintenir un taux constant de carbone 14 dans leur organisme de leur vivant. 

    Les autres échanges (dissolution, échanges isotopiques...) avec des matériaux non vivants sont trop faibles et variables pour être utilisés efficacement.

    Ainsi cette méthode ne peut donc être utilisée que pour des substances organiques, provenant d’êtres vivants.

 

 

b)      Une demi-vie qui ne permet pas des datations lointaines.

 

    La datation par le radiocarbone consiste à mesurer la quantité de carbone 14 qui existe dans un échantillon et ensuite, en la comparant avec la demi-vie, à calculer le temps qui s’est écoulé depuis la mort de l’organisme.

 

    On peut tout d'abord préciser que des travaux ont démontré que le demi-vie du radiocarbone est en fait de 5730 ± 40 ans, soit une différence de 3 % par rapport à la demi-vie évaluée par Libby, l'inventeur de la datation au radiocarbone. Cependant, pour éviter la confusion, tous les laboratoires de radiocarbone continuent d’utiliser la demi-vie calculée par Libby, 5568 ± 30 ans en l’arrondissant parfois à 5570 ans.

 

    Cette demi-vie est trop courte pour des datations lointaines : lorsque le taux de 14C est très faible, la moindre imprécision peut engendrer des erreurs très importantes. Cet état de fait est très visible sur la courbe de décroissance exponentielle (voir figure 1), où on voit bien que lorsque la concentration en radiocarbone est très faible, un petit écart peut entraîner de grands changements quant à l'âge obtenu.

    Ainsi, il existe une limite à  la précision de l’évaluation. L’incertitude sur la mesure devient trop importante pour des échantillons dont l’âge dépasse les 50000 ans, avec la datation au radiocarbone.

 

 

Décroissance radioactive.

Figure 1

 

c)      Pollution et nature des échantillons.

 

    Du fait que l’on mesure la perte de carbone 14 qu’a subi un échantillon depuis sa mise en gisement, il ne faut pas que du carbone 14 ait disparu pour une cause autre que le temps, ni que du carbone 14 récent ne soit introduit dans l’échantillon.

    Beaucoup d’erreurs furent commises au début, car les chercheurs ne comprenaient pas que les particules à dater (charbon, ossements, coquillages, …) pouvaient être contaminées.

Il existe diverses manières de polluer des échantillons. En effet, la simple présence de polluants tels que les racines des arbres, le vernis, ou encore les grains de calcaire qui imprègnent les dépôts archéologiques de carbone, nécessitent de prendre des précautions particulières quant à l’isolement des échantillons dont on veut déterminer la date. L’empaquetage à l’abri de toute matière carbonée (copeaux de bois, coton ou papier) est aussi une condition élémentaire pour que le résultat ne soit pas entaché d’erreur.

 

    Mais il existe une autre cause très fréquente de pollution qui est la percolation à travers le sol de matières organiques telles que de très petites particules de charbons de bois ou surtout d’humus.    

    Effectivement s’il est facile de détecter les rares poussières charbonneuses, il est au contraire assez difficile de savoir si des humus anciens ou actuels sont présents dans les couches.

Pour cela, il est plus prudent de dater un niveau archéologique par des terres charbonneuses ou des matières humiques.

 

    En résumé, quelque soit le matériau à dater certains échantillons ont pu subir depuis leur enfouissement dans la terre une altération de leur composition en carbone 14 pour d’autres causes que la désintégration radioactive,  c’est-à-dire des impuretés carbonées tels les racines, les composés organiques, les acides humiques provenant de la décomposition de l’humus de la terre.

 

    Dans la technique de datation par le radiocarbone, la préparation chimique des échantillons est essentielle. Pour obtenir une datation exacte, il est donc nécessaire de faire subir à chaque échantillon prélevé, des traitements capables d’éliminer tous les polluants pour que le produit final récupéré, brûlé et daté ne contienne que du carbone initialement présent.

 

 

d)      Variance du taux de carbone 14 dans l’atmosphère

 

Lorsque l’on applique la méthode de datation au carbone 14, on ne peut mesurer que sa concentration actuelle de l’échantillon. Pour déterminer l’âge d’un organisme, il faut connaître la concentration de carbone 14 dans l’atmosphère de son vivant. Les chercheurs ont d’abord admis que cette concentration atmosphérique était restée quasi constante au cours des âges et ont pris comme référence sa valeur en 1950.

 

Cependant, il a été ensuite démontré que certains facteurs influent sur ce taux atmosphérique.

On a vu que les neutrons formés dans la haute atmosphère par les rayons cosmiques sont responsables de la formation du radiocarbone. Or, la pénétration dans l'atmosphère de ces rayons cosmiques est influencée par plusieurs paramètres. Par exemple, le champ magnétique de la Terre constitue une sorte de bouclier face aux particules cosmiques : plus son intensité est grande, plus il contrecarre leur pénétration dans notre atmosphère. Or, ce champ magnétique est soumis à des variations régulières (voir figure 2). 

On sait aussi que le renforcement de l' activité du Soleil se traduit par un vent très puissant qui tend à détourner de notre planète les rayons cosmiques et qui, par une action sur le champ magnétique terrestre (voir figure 3) peut également enrayer la pénétration des rayons cosmiques.

 

 

Exemple des variations du champ magnétique terrestre par l'exemple de la direction du Nord magnétique en Sicile.

Figure 2

 

 

 

Le vent solaire - Barnes 1973, p. 8

Onde de choc créée par l'interaction entre le vent solaire et le champ magnétique terrestre.

Figure 3

 

 

De plus, il a été déterminé, qu’à partir d’échantillon de bois d’âge connu par d’autres méthodes (comme le dendrochronologie), que la concentration du carbone 14 dans l’atmosphère avait diminué au XIXe siècle, suite au dégagement massif de gaz carbonique provenant de la combustion du charbon (carbone fossile débarrassé depuis longtemps de son carbone 14), et que les essais nucléaires dans l’atmosphère ont fait remonter appréciablement cette concentration.

 

Toutes ces variations ont été analysées et quantifiées et, notamment grâce à la dendrochronologie (jusqu'en 9440 avant J.C., grâce à l'analyse du taux de C14 dans les cernes de très vieux arbres), une courbe de correction des datations au carbone 14 a pu être mise au point et est régulièrement remise à jour lorsque des précisions peuvent lui être ajoutées. (voir figures 4 et 5) Par exemple, grâce à des mesures radiocarbone sur des coraux et à des mathématiques statistiques (appliquées aux variations du taux de 14C connues et aux mesures effectuées sur différents échantillons), la courbe a pu être étendue jusqu'à 20000 ans avant J.C.

 

L'année 1950 du calendrier années réelles est l'année de référence ( 0 ) du calendrier radiocarbone

Courbe de correction-calibration pour les dates radiocarbone.

Figure 4

 

 

 

 

Utilisation de la courbe de correction des datations sur un échantillon donné.


[A] : Code laboratoire de la date.
[B] : Date radiocarbone exprimées en BP ( before present = avant 1950 ) avec sa
[C]
: marge statistique de 1 déviation standard.
[D] : Courbe de calibration de 1993
[E]
: Terminologie classique : Avant ou Après J.C.
[F] : Résultat corrigé ( ou "calibré" ) sous la forme de deux dates précises définissant
un intervalle dans lequel la date a 95 chances sur 100 de se trouver.
[G] : Indication des dates autour desquelles l'âge exact a le plus de chance de se trouver.
Ce sont les "pics" de maximum de probabilité

Exemple d'utilisation de la courbe de correction des datations au carbone 14.

Figure 5

 

   

 

 

 

 

 

2.    D’autres méthodes de datation

 

    Afin d'avoir une idée précise de l'utilité particulière de la datation au carbone 14 et de ses caractéristiques propres, nous allons passer rapidement en revue d'autres méthodes de datation très diverses. On peut remarquer que chacune de ces techniques présente ses avantages propres, mais que, tout comme la datation au carbone 14, ne peuvent être utilisées dans tout les cas de figure.

 

a)      Avec radioactivité  

 

  La datation au potassium et à l’argon

 

     Demi-vie : 1,25.109 ans.

     La désintégration radioactive d'isotopes de potassium en argon est très utilisée pour dater les roches. Les géologues sont capables de dater de nombreux types de roches de cette façon, car le potassium-40 est abondant dans les micas, les feldspaths et les hornblendes, roches relativement courantes. 

    Cependant, L'évaporation de l'argon peut poser un problème si la roche a été exposée à des températuresl supérieures à 125 °C. En effet, l'âge mesuré reflète le dernier épisode d'exposition à la chaleur plutôt que l'âge originel de formation de la roche. La datation par le potassium-argon couvre des périodes allant de 100 000 à plusieurs millions d'années. 

    La collecte d'échantillons demande une étude précise du contexte géologique. En archéologie, elle ne permet pas de dater directement les objets, mais les couches dans lesquelles ils ont été trouvés.

 

 

La datation au rubidium et au strontium

 

    Demi-vie : 4,88.1010 d'années.

    Utilisée pour dater les roches magmatiques et les roches métamorphiques ainsi que les échantillons lunaires, grâce à sa demi-vie relativement élevée, cette méthode est fondée sur la désintégration bêta du rubidium 87 en strontium 87.

 

 

La datation au thorium 230

 

    Demi-vie : 76 000 ans.

    La méthode de datation au thorium permet de dater les sédiments océaniques plus anciens que ceux accessibles par les méthodes de datation au carbone-14, et plus récents que ceux relevant d'une datation par thermoluminescence. L'uranium présent dans l'eau de mer donne lieu à une suite de désintégrations qui aboutit au thorium-230 (également nommé ionium), dérivé de l'uranium-238, qui a une demi-vie de 80 000 ans, et au protactinium 231, dérivé de l'uranium-235, qui a une demi-vie de 34 300 ans. Tous deux radioactifs, ils sont précipités dans les sédiments marins dans les mêmes proportions mais à des taux différents. Leur proportion respective change régulièrement avec le temps, montrant des différences d'autant plus importantes que les sédiments sont anciens. Une échelle de temps peut être mise au point de cette manière.

    Dans la méthode utilisant le déficit en thorium-230, l'âge des coquillages ou des coraux fossilisés datant de 10 000 à 250 000 ans est fondé sur le fait que l'uranium-238 et l'uranium-224, entrés dans la composition du carbonate lors de sa formation ou de son enfouissement, ne sont pas encore à l'équilibre avec le thorium. Des relations de déséquilibres identiques peuvent être utilisées pour dater les carbonates dans les sols. Cette méthode est un complément à celle du carbone-14.

   

 

La thermoluminescence

 

    Cette méthode, qui s'applique à certains objets minéraux, tout particulièrement les céramiques et les cristaux, utilise un phénomène propre à ces matériaux. Des électrons libres sont naturellement piégés dans des défauts de la structure cristalline de ces minéraux, mais restent cependant capables de "s'échapper" de ces pièges avec une fréquence connue. Ces électrons résultent des mutations naturelles des radioéléments omniprésents dans l'environnement des échantillons enfouis (238U, 232Th, 40K principalement)

 

    Le phénomène d'échappement de ces électrons est appelé thermoluminescence. Ce qui permet une datation est le fait que lorsque ces minéraux sont chauffés à une température inférieure à celle de l'incandescence, les électrons quittent la structure cristalline par thermoluminescence. En enregistrant la thermoluminescence d'un minéral qui a été exposé à un niveau de radiation constant (pas d'émissions radioactives particulièrement élevées à proximité de l'échantillon durant son existence), le dernier drainage des électrons piégés peut être ainsi daté sur plusieurs centaines de milliers d'années. Pour dater de la poterie, par exemple, le spécimen est chauffé : il restitue alors par thermoluminescence l'énergie qu'il a stocké dans ses défauts cristallins depuis le moment où il a été cuit. La thermoluminescence peut prendre le relais du 14C pour la datation des objets archéologiques postérieurs à 100 000 ans bien qu'elle ne soit pas utilisée pour les mêmes matières. Sa fiabilité dépend des conditions de la prise de l'échantillon dans le contexte archéologique. Les précisions annoncées sont en général  de l'ordre de 4 à 5% (± 100ans au début de notre ère).

 

b)      Sans radioactivité

 

 

    Outre les comparaisons avec d'éventuels objets et substances chronologiquement situables trouvés aux alentours de l'échantillon, on retrouve les méthodes classiques de la datation en archéologie :

 

La stratigraphie

 

    L'échelle relative était conçue d'après les principes de la stratigraphie ; la loi de superposition décrit simplement que, dans une succession non perturbée de strates, les lits de roches supérieurs sont plus récents que les lits inférieurs. Ainsi les géologues ont pu créer de grands groupes de strates, qui sont devenus la base de la division des temps géologiques. Ainsi, l'histoire de la Terre a été divisée en quatre grandes ères : le Précambrien, le Paléozoïque, le Mésozoïque et le Cénozoïque, à partir de la méthode de la stratigraphie.

 

 

La méthode dite "des varves"

 

    C'est l'une des méthodes les plus anciennes de datation, qui est assimilable à la stratigraphie. Une varve est un lit sédimentaire, déposé au cours d'une année dans une étendue d'eau immobile. Le nombre de varves et leur corrélation entre différents sites ont été utilisés pour déterminer les âges des dépôts glaciaires du Pléistocène, par exemple.

 

 

La dendrochronologie 

 

    La dendrochronologie est une méthode de datation qui permet de déterminer la période durant laquelle un arbre a vécu et, par exemple, préciser son année d'abattage (éventuellement la saison).La dendrochronologie est basée sur l'analyse de la croissance du bois. Chaque année, l'arbre produit un anneau ou cerne de croissance. Leur nombre indique la durée de vie de l'arbre. La largeur des cernes varie en fonction de nombreux facteurs parmi lesquels le climat prédomine et est caractéristique de l'année. Un environnement favorable entraîne la formation d'un cerne large (lorsqu'il est défavorable, le cerne est étroit).Si les conditions climatiques sont favorables à la croissance d'une essence, elles le seront pour tous les arbres de cette essence dans une même région. Les dendrochronologues constituent une sorte de « calendrier des années » qu’ils appellent « courbe de référence » (pour une essence et une région). Elle se termine par l’année en cours et remonte le temps. La dendrochronologie cherche ensuite, par comparaison visuelle sur une table lumineuse, à corréler toutes les courbes obtenues sur le lot d'échantillons à une base de données construites à partir de références pour une région donnée.

 

    Méthode en 4 étapes :

    Étape 1 : Cette méthode est basée sur l'analyse de la croissance des bois. Chaque année, l'arbre produit un anneau ou un cerne de croissance. Leurs nombres indiquent la durée de vie de l'arbre

    Étape 2 : La largeur des cernes varie chaque année en fonction de nombreux facteurs de croissance, parmi lesquels le climat prédomine. Un environnement favorable entraîne la formation d'un cerne large, un environnement défavorable, la formation d'un cerne plus étroit.

    Étape 3 : En mesurant et analysant les cernes de croissance de nombreux bois, nous pouvons reconstituer globalement pour chaque essence végétale et par région, ces indices de croissance année par année, et établir un catalogue de références (courbes de références, voir figure 6).

    Étape 4 : La recherche des pièces de bois des diverses époques permet de corréler entre elles les séquences fournies par chaque bois et d'établir une courbe continue qui est un véritable calendrier, de 1988 à la préhistoire. Pour dater une pièce de bois, on recherchera par comparaison (optiquement ou par ordinateur) la position de sa courbe dans la courbe générale.

 

Établissement d'une courbe de référence de la croissance des cernes des arbres pour une région donnée (ou séquence dendrochronologique.

Figure 6

    En analysant le taux de carbone 14 dans les cernes de nombreux arbres, la dendrochronologie à permis d'établir les courbes de calibrations des datation au carbone 14.

 

Conclusion